Deuxième séjour à Niamey. La première fois, j'avais été malade.

lundi 15 novembre 2010

Wie gehts ?


Étant au Niger pour au moins trois ans, j’ai décidé d’apprendre une des langues locales, celle qu’on parle le plus à Niamey, le zharma. Mon ambition étant, aussi rapidement que possible, de comprendre les conversations autour de moi, éventuellement d’y participer. Ce n’est, à dire vrai pas réellement un besoin puisque tout le monde parle français, mais je pense que ce sera pratique quand, dans ma vie future, à New York ou à Londres, voire à Tours, je croiserai un Nigérien. Bonjour ! Et la famille ? Et la santé ? Tu peux m’indiquer où est la 5ème avenue, s’il-te-plaît ?
Pour apprendre, deux stratégies. La première m’a été donnée par un Nigérien, et consiste à s’asseoir sur un banc, dans la rue, avec les gens qui sont là, et de laisser les choses venir. La deuxième est plus commune, elle consiste à s’inscrire à des cours de zharma, à y aller, et à faire ses devoirs entre deux cours. J’ai choisi la seconde,parce que c’est plus facile, ou plus occidental, je ne sais pas.
Ces cours se passent de la manière la plus banale qui soit. La prof est sympathique et chaleureuse, elle vous explique des choses, vous donne du vocabulaire, un point de grammaire (le zharma n’est pas compliqué question grammaire, surtout si vous vous arrêtez cinq minutes et que vous la comparez avec la grammaire française). Et puis à chaque fois on rebrasse les diverses connaissances dans des petites conversation de haute volée du style je m’appelle Basile, j’ai 26 ans et je porte des chaussettes noires. C’est détendu, il n’y a pas d’enjeu, les choses rentrent peu à peu et vous vous rendez compte peu de temps après que des gens dans la rue vous répondent en zharma quand vous êtes arrivés à caser LA phrase que vous avez apprise. Ce n’est pas si facile, il faut des conditions bien particulières pour parler de vos chaussettes.
Mais voilà, on ne tire pas un trait sur son passé comme cela. À partir du moment où la prof, très naturellement, commence à demander en zharma comment on s’appelle bien qu’on le lui dise patiemment toutes les semaines, soudainement je perds 15 ans et gagne en même temps une angoisse incontrôlée. Me voilà retourné au collège, et je ne veux pas y retourner. On est lundi matin, 8h30, la prof d’allemand nous pose des questions nommément, et je n’ai pas fait mes devoirs. Je ne comprends rien à ce qu’elle me dit, et à voir sa tête j’aurais dû comprendre. J’ai beau jeter des regards affolés, j’ai beau transpirer allègrement, elle a beau me répéter sa question de plus en plus lentement et de plus en plus fort, rien ne sort. Pourtant, j’ai essayé d’apprendre les mots de vocabulaire, pas à m’en abrutir parce que j’avais tout de même un désintérêt profond envers tout ce qui n’était pas du français, mais quand même, j’ai essayé. Seulement, quand assis depuis vingt minutes devant votre liste de vocabulaire vous ne vous rappelez que d’un seul mot sur les cinq que vous aviez à apprendre, et ce mot si précieux et si fragile, vous l’aurez oublié dans l’heure qui suivra, point n’est besoin de persévérer. Il vaut mieux abandonner, ce n’est pas grave si les langues ne sont pas pour vous, vous avez moultes qualités tout aussi intéressantes, comme par exemple celle de cuisiner de très bons pâtés de campagne. Ça n’a rien à voir, je sais, mais il faut prendre les gens dans leur globalité, il y a des gens virtuoses du piano, d’autres qui sont très forts en maquettes de bateau. Le premier don que je viens de citer est mieux reconnu socialement que le second, c’est vrai, mais essayer de me prouver la supériorité de la maîtrise du piano sur celle du modélisme. Oh puis arrêtez de m’interrompre, je n’avais pas fini.
Très vite, dès la 6ème, dès la deuxième heure de cours, j’ai su que l’allemand n’était pas pour moi. J’ai battu en retraite très vite et me suis recroquevillé en espérant que ce ne soit ni trop long, ni trop douloureux. Hélas, ce le fut, long et douloureux.
Qu’à cela ne tienne, j’étais nul en allemand, cela ne tenait peut-être qu’à la langue elle-même. Je suis arrivé en 4ème, l’âge de la deuxième langue, plein d’espoir, tout prêt à effacer cet échec cuisant et à conquérir ces terres nouvelles. J’ai jaugé les forces en présence dans le cours d’anglais, ai noté la similarité des comportements, ces questions posées de plus en plus fort et de plus en plus lentement mais dans une autre langue encore, et j’ai battu en retraite piteusement.
Tout le reste ne fut que plaies et bosses, stratégies ridicules pour cacher mon ignorance crasse, humiliations quasi quotidiennes, rendez-vous parents-profs de langues où, à mon grand étonnement, celle qui était censée me protéger du monde puisque j’étais la chair de sa chair, à savoir ma mère, cette mère, contre toute attente se rangeait du côté de l’ennemi pour m’accabler, moi qui n’avait pas besoin de ça pour sentir que j’avais perdu lamentablement.
J’ai porté ce fardeau jusqu’à l’âge adulte où, chacun sait, on devient un autre individu.
Ce nouvel individu, bien naïvement, a pensé que le temps de la reconquête était venu, qu’il allait leur montrer à tous qui il était, qu’il pouvait être quelqu’un qui parlait une langue étrangère ET qui faisait des très bons pâtés de campagne. Ce nouvel individu est non seulement parti dans un pays où personne ne parle sa langue (la Suède) , mais a même décidé d’apprendre la langue (le suédois pour ceux qui ne sont vraiment pas forts en géographie). Hélas, il n’a fallu que quelques minutes de cours pour m’apercevoir qu’on ne trace pas un trait sur le passé comme cela. Les mêmes question répétées, bien que moins agressivement (je suis quand même là de mon plein gré), apportait les mêmes effets : angoisse, sueurs, appels à l’aide désespérés. Je peinais toujours autant sur mes cinq mots à apprendre. Je restais toujours aussi perplexe devant les minuscules textes qu’on me présentait, arrêté brutalement par le deuxième mot, oui, c’est ce mot-là que j’avais réussi à savoir hier. La défaite était d’autant plus cuisante que j’avais cherché la bataille.

Alors est-ce que quelqu’un peut m’expliquer pourquoi je me remets dans les mêmes galères ?